Obligation de motivation de l’avis de la CNAC à la suite d’un premier avis défavorable

Conseil d’Etat, 4e et 1e chambre réunies, 21 juillet 2023, n°461753, Sté Distribution Casino France

 

Dans cette décision, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser les modalités d’examen par la Commission nationale de l’aménagement commercial (CNAC) d’un second avis sollicité après un premier avis défavorable.

 

Le Conseil d’Etat tire de l’article L. 752-21 du code de commerce le fait que « lorsqu’un projet soumis à permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale fait l’objet d’un avis défavorable de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) pour un motif de fond, une nouvelle demande d’autorisation de construire valant autorisation d’exploitation commerciale à raison d’un nouveau projet sur le même terrain ne peut être soumise, pour avis, à une commission d’aménagement commercial que pour autant que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l’avis antérieur de la CNAC. »

 

Il estime ainsi qu’ « il appartient à la commission d’aménagement commercial saisie de ce nouveau projet de vérifier que cette condition préalable est satisfaite et, seulement dans l’hypothèse où elle l’est, de procéder au contrôle qui lui incombe du respect des autres exigences découlant du code de commerce, y compris, s’agissant des exigences de fond, de celles dont il avait été antérieurement estimé qu’elles avaient été méconnues ou dont il n’avait pas été fait mention dans l’avis de la CNAC. »

 

Ce nouvel avis doit mentionner les considérations de droit et de fait sur lesquelles la commission saisie de ce nouveau projet s’est fondée pour conclure au respect des exigences découlant du code de commerce et rendre un avis favorable à la nouvelle demande d’autorisation, sans nécessairement comporter de référence explicite ni à l’avis défavorable précédemment émis, ni aux éléments apportés par le pétitionnaire pour justifier que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l’avis antérieur de la CNAC, ni à l’ensemble des motifs de fond l’ayant justifié.

Antoine de Griève

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Précisions sur le contrôle effectué par le juge en matière d’ICPE

Conseil d’Etat, 9 août 2023, n°455196

 

Dans cette décision, il était question de l’office du juge de plein contentieux en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement.

 

Diverses associations de défense de l’environnement aveint en effet saisi la Cour administrative d’appel de Lyon afin qu’elle annule la décision par laquelle le préfet de l’Yonne avait autorisé une société à construire et exploiter des éoliennes. La Cour avait débouté les requérantes de leurs demandes, qui ont dès lors formé pourvoi devant le Conseil d’Etat.

 

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat est venu définir précisément l’office du juge de plein contentieux en la matière. Il a ainsi relevé qu’ « il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

  • d’apprécier le respect des règles relatives à la forme et la procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation, et d’appliquer
    • les règles de fond applicables au projet en cause en vigueur à la date à laquelle il se prononce,
    • sous réserve du respect des règles d’urbanisme, qui s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l’autorisation. »

 

Aussi et surtout, il souligne que « lorsqu’il relève que l’autorisation environnementale contestée devant lui méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle il se prononce, le juge peut, dans le cadre de son office de plein contentieux, lorsque les conditions sont remplies, modifier ou compléter l’autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l’illégalité constatée, ou faire application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement. »

 

Enfin, il évoque plus spécifiquement le cas particulier des éoliennes, estimant que pour « apprécier le respect des règles relatives aux garanties financières pour les installations produisant de l’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent prévues par les articles L. 515-46 et R. 515-101 du code de l’environnement, il appartient au juge de faire application des dispositions réglementaires applicables à l’installation dans leur rédaction en vigueur à la date à laquelle il se prononce. »

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Reconnaissance d’un délai raisonnable de contestation d’un contrat administratif par un concurrent évincé : Czabaj et la commande publique

Conseil d’Etat, 19 juillet 2023, n°465308, Sté Seateam Aviation

 

Une société avait postulé, dans le cadre d’un appel d’offres, pour réaliser les lots n°1 et 2 d’un marché de fournitures mais ses offres avaient été rejetées par des décisions du 19 août 2010.

 

La société évincée avait déposé un recours en contestation de la validité de ce contrat en juin 2012, qui avait été rejeté en octobre 2014 au motif qu’elle n’avait ni produit l’acte d’engagement signé par le ministre de la défense et l’attributaire du marché ni justifié d’une impossibilité d’obtenir ce document, ne constituait pas une circonstance particulière justifiant de proroger au-delà d’un an le délai raisonnable dans lequel elle pouvait exercer un recours juridictionnel.

 

La société a alors introduit un nouveau recours en 2019 devant le Tribunal administratif de Toulon, qui est finalement parvenu jusqu’au Conseil d’Etat qui a du statuer sur la question de la validité de ce recours.

 

Le Conseil d’Etat fait remarquer d’une part que, comme issu de ses jurisprudences, « indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant ce juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. »

 

Il souligne alors que ce recours doit être exercé dans un délai de deux mois « mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. » Etant précisé que ce délai « ne peut commencer à courir que si ces mesures indiquent au moins l’objet du contrat et l’identité des parties contractantes ainsi que les coordonnées, postales ou électroniques, du service auprès duquel le contrat peut être consulté. »

 

Enfin, le Conseil d’Etat pose la véritable portée de cet arrêt qu’est la reconnaissance d’un délai raisonnable « Czabaj » pour ce type de recours.

 

Il estime en effet que « le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que la validité d’un contrat administratif puisse être contestée indéfiniment par les tiers au contrat. »

 

Il précise alors que « dans le cas où, faute que tout ou partie des mesures de publicité appropriées mentionnées au point précédent aient été accomplies, le délai de recours contentieux de deux mois n’a pas commencé à courir, le recours en contestation de la validité du contrat ne peut être présenté au-delà d’un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c’est-à-dire de son objet et des parties contractantes. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable. »

 

Ainsi, en l’absence de publicité des éléments nécessaires à la constitution d’un recours en annulation d’un contrat par un candidat évincé, ce dernier dispose d’un délai raisonnable d’un an à partir de sa prise de connaissance de l’objet du contrat et des parties contractantes pour intenter un recours devant la juridiction administrative.

 

Pour rappel :

Cf. CE, Assemblée, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545, p. 360. Rappr., pour l’extension du recours en contestation de la validité du contrat aux autres catégories de tiers, à l’encontre des contrats signés à compter du 4 avril 2014, CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, p. 70.

Cf., en l’étendant au recours en contestation de la validité d’un contrat administratif par un concurrent évincé, CE, Assemblée, 13 juillet 2016, M. , n° 387763, p. 340. ou encore. CE, 3 juin 2020, Centre hospitalier d’Avignon et Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), n°s 428845 428847, T. p. 842.

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Le délai raisonnable de contestation d’une décision administrative peut être prorogé par la formation d’un recours administratif même facultatif

Conseil d’État, avis contentieux, 12 juillet 2023, n° 474865, au recueil Lebon

 

Sur demande d’avis formée dans le cadre d’un contentieux par le Tribunal administratif de Lyon, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur l’application du délai raisonnable résultant de la jurisprudence dite Czabaj en cas de recours administratif formé au cours de dernier.

 

Pour rappel, la jurisprudence Czabaj est venue préciser qu’en cas d’absence de mention des voies et délais de recours prévus à l’article L480-1 du Code des relations entre le public et l’administration sur une décision administrative, la personne intéressée dispose d’un « délai raisonnable » d’un an au cours duquel elle peut former un recours contre ladite décision.

 

Il s’agissait alors de trouver un juste équilibre entre le droit de recours des tiers et le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps.

 

Mais il restait néanmoins une question en suspens : celle de savoir si l’absence de mention de ces mêmes voies et délais de recours dans la réponse négative ou encore en cas d’absence de réponse à un recours administratif, gracieux ou hiérarchique – même facultatif – a pour conséquence de faire repartir le même délai raisonnable d’un an.

 

Dans les deux cas, le Conseil d’Etat a estimé que le délai raisonnable d’un an commençait à courir soit à partir de la date de la réception de la réponse soit à partir de la date de l’accusé de la réception par l’administration concernée.

 

Saisi également de la question de la prise en compte du délai de sollicitation d’une aide juridictionnelle, le Conseil d’Etat répond qu’une telle demande formée avant l’expiration d’un délai de recours interrompt ce dernier.

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Faut-il dynamiter la loi Hoguet ? Les agents immobiliers dans le collimateur de l’Autorité de la Concurrence

Dans un avis rendu le 2 juin 2023, l’Autorité de la Concurrence propose de dynamiter purement et simplement la Loi Hoguet en excluant de son champ d’application l’activité d’entremise pour l’achat, la vente et la recherche de biens immobiliers.

« Les conditions d’accès à la profession et les obligations liées au mandat d’entremise immobilière, telles que le principe de la rémunération au résultat, seraient supprimées »

Consciente sans doute de la fronde que ce type de proposition peut susciter, l’Autorité de la Concurrence propose en « option 2 » de réduire la notion d’entremise immobilière à sa plus simple expression, en excluant en particulier l’estimation du bien, la constitution du dossier de vente, la diffusion d’annonces ou mêmes l’organisation des visites, pour ne retenir au final que la sélection des acquéreurs et la négociation.

L’Autorité de la Concurrence estime en effet que l’essor du numérique et l’open data (base de données DVF notamment), l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs tels que les réseaux de mandataires ou encore les « coachs immobiliers », ainsi que les taux de commission globalement plus élevés par rapport à nos voisins européens, justifient d’assouplir les conditions d’exercice de l’activité d’entremise immobilière.

Oui mais…

Pour l’Autorité de la concurrence, la mission d’entremise immobilière se résume aux « prestations » suivantes (p. 31 du rapport) :

Aucun texte alternatif pour cette image

C’est éluder totalement le fait qu’une vente immobilière est devenue, en France du moins, une opération éminemment complexe en regard des multiples contraintes administratives :

  • DPE/ERRIAL ;
  • diagnostic amiante ;
  • diagnostic assainissement ;
  • droits de préemption urbain, rural ou des locaux commerciaux;
  • règles d’urbanisme issues du PLU ;
  • règlementation du changement d’usage dans les villes de plus de 200 000 ;
  • réglementation ERP ou ERT pour les locaux professionnels;
  • diagnostic Carrez, état daté et règlement de copropriété pour les bâtiments soumis à la loi de 1965 ;
  • cahier des charges et/ou règlement de lotissement, etc.
Aucun texte alternatif pour cette image

Or dans ce maquis, il appartient précisément à l’agent immobilier, dans le cadre de son devoir de conseil, de s’assurer de la faisabilité juridique d’une opération et de répondre aux questions de ses mandants ou prospects :

Le terrain est-il « piscinable » ? Puis-je changer la destination de la grange ? Mon terrain est-il divisible pour en vendre une partie comme terrain à bâtir ? Puis-je implanter mon commerce en pied d’immeuble au titre du PLU et du règlement de copropriété ?

Je forme des dizaines d’agents immobiliers tous les ans sur ces problématiques, notamment auprès de la FNAIM.

Je vous garantis que les enjeux liés au devoir de conseil de l’intermédiaire immobilier sont énormes, notamment dans les Métropoles où les règles d’urbanisme sont éminemment complexes (que celui qui parvient à comprendre du premier coup le PLU parisien ou lyonnais me jette la première pierre !).

Dès lors ce dont je suis certain, c’est qu’une « ubérisation » de l’intermédiation immobilière est le dernier service à rendre aux vendeurs et acquéreurs.

Cette analyse vous a été proposée par notre Associé Sébastien Bourillon

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Point sur l’engagement de la responsabilité civile de l’Etat pour les dégradations résultant de manifestations ou d’émeutes

Le contexte actuel de violences urbaines appelle à la réflexion sur la réparation des dommages effectués lors des manifestations violentes ou en cas d’émeutes : voitures incendiées, magasins pillés…

Bien souvent les victimes se retrouvent seules face à des dégradations que leur assureur refuse de prendre en charge : il convient dès lors de rappeler que la responsabilité de l’Etat peut être mise en cause.

Petit point juridique sur cette responsabilité particulière.

L’Etat est responsable même sans faute

  • Une responsabilité qui incombe uniquement à l’Etat et non pas aux communes

La responsabilité pour les dommages causés du fait des attroupements est une responsabilité qui ne concerne que l’Etat.

En effet, la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, a transféré la responsabilité sans faute à l’Etat ainsi que le contentieux qui en relève à la juridiction administrative.

L’article 92 de cette loi est désormais codifié dans la Code de la Sécurité intérieure à son article L. 211-10 qui prévoit que :

« L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »

Les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les communes, ne sont dès lors plus responsables comme cela était le cas auparavant.

  • Qu’est-ce que la responsabilité « sans faute » ?

Le régime de responsabilité « sans faute » est une spécificité de l’Etat qui résulte de sa nature sans commune mesure par rapport aux personnes privées et aux autres personnes publiques.

Ce régime induit que la responsabilité de l’Etat peut être mise en cause, dans des cas très limités et précisés par la loi, même lorsque ce dernier n’a commis une quelconque faute.

Le Législateur (et parfois le juge administratif au travers de la jurisprudence) estime en effet qu’il incombe à l’Etat de réparer les préjudices anormaux et spéciaux, c’est-à-dire qui excède tout ce qui peut être supporté par tout un chacun du fait de l’activité normale de l’administration.

  • Une responsabilité qui s’engage devant le Tribunal administratif

Si une telle responsabilité s’engageait contre les communes et devant le juge judiciaire avant la loi de 1983, elle s’engage désormais contre l’Etat devant le Tribunal administratif.

A noter également que le juge pénal ne peut pas connaitre de l’instance formée devant le juge administratif puisque le Tribunal des conflits (qui détermine la répartition des compétences entre chaque ordre juridictionnel, privé ou public) a estimé qu’une telle procédure ne pouvait aucunement relever du tribunal correctionnel (Tribunal des conflits, 21 mai 2001, Préfet de la Réunion, n°3260).

Les conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat

  • Les dommages causés doivent être le fait d’un « attroupement » dont les actes ne sont pas prémédités

La définition des « attroupements » ou des « rassemblements » a été principalement posée par la jurisprudence du Conseil d’Etat mais également du Tribunal des conflits.

Il convient bien évidemment de souligner que des individus agissant de manière isolée, des groupes spécialisés dans l’action violente ou constitués pour satisfaire une volonté de représailles ou de vengeance ne rentrent pas dans cette définition.

On peut à cet égard citer plusieurs exemples d’exclusion :

  • l’interception d’un camion transportant de la viande pas un groupe d’une soixantaine de personnes cumulé au déversement de carburant sur le contenu du camion et « eu égard au caractère prémédité de ces actions », ne pouvait être regardé comme caractérisant un « attroupement » (Conseil d’Etat, 26 mars 2004, Société BV Exportslachterii, Apeldoorn ESA, n°248623).
  • lorsque les agissements ont été prémédités « dans le cadre d’une action concertée et avec le concours de plusieurs personnes » (Tribunal des conflits, 15 janvier 1990, Chamboulive et autre c/ Commune de Vallecalle, n°02607), alors la responsabilité sans faute de l’Etat ne peut pas être engagée car ces agissements n’ont pour objectif que de détruire ou d’agir par vengeance.
  • Ou encore le cas d’un ensemble d’individus non-identifiés disposant d’une identité propre agissant de manière préméditée type « opération de commando » ne peut pas non plus être regardé comme un attroupement.

En revanche, le Conseil d’Etat a admis dans un avis de 1998 (Conseil d’Etat, avis, 20 février 1998, Sté d’études et de construction de sièges pour l’automobile, n°189285) que les dommages causés par l’action des manifestants ou des grévistes doivent être imputables à un attroupement ou un rassemblement « précisément identifié » même lorsqu’elles dégénèrent en violences urbaines (Conseil d’Etat, Sect. 2000, Assurances générales de France, n°188974).

Mais dans un cas plus proche de celui qui nous concerne actuellement – à savoir celui des émeutes de 2005 -, la position du juge administratif est quelque peu ambiguë.

En effet, le manque de précision de la définition posée par la loi induit une certaine latitude du juge dans l’application de cette dernière.

Toutefois, il faut souligner que le Conseil d’Etat a récemment confirmé la logique qu’il avait pu initier cette dernière décennie : l’Etat ne peut pas être responsable lorsque les actions ont été préméditées (Conseil d’Etat, 28 oct. 2022, Ministre de l’Intérieur c/ SANEF, n° 451659).

Aussi, dans ce cas précis, le Conseil d’Etat avait souligné que les dégradations et dommages subis par la société s’inscrivent bien « dans un ensemble d’actions délictuelles, concertées et préméditées, notamment des dégradations, vols de matériels et de véhicules commis en ville, en dehors de l’autoroute, et sur l’autoroute, et la menace d’autres actions violentes », et ne « procédaient pas d’une action spontanée dans le cadre ou le prolongement d’un attroupement ou rassemblement mais d’une action préméditée, organisée par un groupe structuré à seule fin de les commettre ».

La responsabilité sans faute de l’Etat peut donc être mise en cause si et seulement si les actions délictuelles qui s’y déroulent ne sont pas préméditées.

  • Les actes en cause doivent être constitutifs de crimes ou de délits

Autre condition pour déterminer l’engagement de la responsabilité de l’Etat, les dommages en cause doivent être la conséquence de faits constituant des crimes ou de délits.

Pour ce faire, le juge administratif n’est aucunement lié par la qualification des faits établis par le juge pénal : il se saisit en réalité du droit pénal pour déterminer lui-même la qualification juridique des faits (Conseil d’Etat, Ass., 8 janvier 1971, n°77800 Ministère de l’Intérieur c/ Dame Desamis).

A cet égard, on peut citer plusieurs exemples éclairants :

  • Celui d’un mouvement de recul d’une foule  :

« Des lycéens au nombre de 1 500 à 2 000 environ se sont rassemblés devant le lycée Henri IV à Béziers et que, au moment où certains d’entre eux tentaient de pénétrer dans le lycée à la suite d’un professeur, la porte a été refermée, les lycéens étant repoussés contre une balustrade qui s’est effondrée, blessant notamment le fils mineur de M. X… ; que la cour, qui, en décrivant avec précision les circonstances de l’accident et notamment le comportement des manifestants, avant d’écarter la responsabilité de l’Etat, a implicitement, mais nécessairement estimé que ce comportement ne constituait pas un délit, a suffisamment motivé son arrêt » (Conseil d’État, 19 mai 2000, Languedoc-Roussillon, n°203546).

Le juge administratif doit donc déterminer par lui-même si les faits en question sont constitutifs d’un crime ou un délit selon le droit pénal en vigueur.

  • Il faut démontrer un lien de causalité entre le comportement des manifestants et le dommage causé

Enfin, comme tout engagement de responsabilité, il est nécessaire de démontrer un lien de causalité « certain et direct » entre les actes de violence commis par les manifestants et les dommages causés, qu’ils soient corporels ou matériels : il peut même s’agir des dommages liés à la hausse des coûts d’exploitation ou des pertes de recettes d’exploitation.

A retenir

La responsabilité sans faute de l’Etat du fait des attroupements peut être engagée devant le juge administratif si les violences ne sont pas préméditées, qu’elles constituent un délit ou un crime selon le droit pénal en vigueur, et qu’il existe un lien suffisamment direct et certain entre ces dernières et le préjudice allégué.

 

Antoine de Griève

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Un adjudicateur n’est pas tenu de prendre en compte l’erreur de « tiroir numérique » d’un candidat

Conseil d’Etat, 7e et 2e chambres réunies, 1er juin 2023, n°4692127, Sté RVM

Dans une décision du 1er juin, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur l’erreur d’une société souhaitant se porter candidate à l’obtention de ce marché mais ayant déposé, par erreur, sa candidature et son offre sur le profil d’acheteur de la communauté d’agglomération dans le « tiroir numérique » dédié à un autre marché, dont les dates limites de remise des offres et candidatures étaient identiques.

La Communauté d’agglomération n’a pas pris en compte cette candidature et cette offre pour le marché en litige, et la société a donc contesté la procédure de passation.

Le Conseil d’Etat relève d’une part qu’ « aucune disposition ni aucun principe n’impose au pouvoir adjudicateur d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler et, d’autre part, il ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l’hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public. »

Dès lors, le Conseil d’Etat conclut que la communauté d’agglomération n’a pas manqué à ses obligations de mise en concurrence en ne prenant pas en compte la candidature et l’offre qu’elle a présentées dans un « tiroir numérique » correspondant à un autre marché que celui en litige, alors même que les dates limites de remise des offres et des candidatures étaient identiques.

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La CJUE vient préciser que l’exigence d’une évaluation des incidences environnementales ne dépend pas exclusivement de la taille des projets

CJUE, 25 mai 2023, C-575/21, WertInvest Hotelbetrieb

Dans une décision du 25 mai dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne est venue répondre à une question préjudicielle posée par une juridiction autrichienne quant à la compatibilité de la réglementation autrichienne par rapport à la directive 2011/92 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.

La Cour de Luxembourg répond que la directive s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne la réalisation d’une évaluation des incidences sur l’environnement de certains « travaux d’aménagement urbain », tels que ceux en cause, au franchissement des seuils d’occupation d’une surface d’au moins 15 hectares et de surface brute de plancher de plus de 150 000 m2.

Elle indique ainsi que « si un État membre recourt à des seuils pour évaluer la nécessité de procéder à une évaluation des incidences sur l’environnement, il est nécessaire de prendre en considération des éléments tels que la localisation des projets, par exemple, en fixant plusieurs seuils correspondant à des dimensions de projets variées, applicables en fonction de leurs nature et localisation. Si le projet, tel que celui en cause, se situe dans la zone centrale d’un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, le critère relatif à la localisation des projets s’avère particulièrement pertinent. »

Dès lors, la CJUE vient confirmer que l’exigence d’autorisation environnementale posée par le droit européen n’est pas basée sur la taille du projet considéré mais que cette dernière n’est qu’un élément parmi d’autres pour déterminer si le projet doit être soumis à une autorisation environnementale.

 

Antoine de Griève

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Modification des règles d’urbanisme applicables pendant un sursis à statuer ne vaut pas régularisation d’une autorisation non conforme aux règles antérieures

Conseil d’Etat, 4 mai 2023, n°464702, Société Octogone

Dans une décision rendue le 4 mai dernier, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur les modalités de régularisation d’une autorisation d’urbanisme dans le cadre d’un sursis à statuer.

Il était question dans le cas d’espèce d’une société ayant obtenu un permis de construire pour un immeuble comprenant 29 logements collectifs et des commerces mais en violation évidente des règles d’urbanisme prévues, notamment les limites de hauteur prévues par le PLU.

Saisi par une association, le Tribunal administratif de Toulouse a sursis à statuer en application de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, dans l’attente que lui soit notifiée une régularisation par la société pétitionnaire.

Mais cette société n’a pas demandé de régularisation, arguant que le projet était désormais conforme puisque les règles d’urbanisme avaient changé entretemps.

Le Tribunal administratif a cependant estimé que ce changement des règles d’urbanisme n’emportait pas mesure individuelle de régularisation : il a dès lors annulé les deux décisions précédentes.

Le Conseil d’Etat adopte et valide le raisonnement du Tribunal administratif, entérinant le fait que le changement des règles d’urbanisme ne peut en aucun valoir mesure individuelle de régularisation dans le cadre d’un sursis à statuer pris en application de l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme.

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Des précisions quant aux actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles commises à l’occasion de la passation d’un marché public

Conseil d’Etat, 9 mai 2023, n°451710, Région Ile-de-France c. Bouygues Bâtiment IDF et a.

Dans une décision rendue mardi 9 mai, le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions quant aux modalités de mise en œuvre d’actions en justice fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles commises à l’occasion de la passation d’un marché public dans des circonstances relativement complexes.

Il s’agissait dans le cas de déterminer la point de départ du délai de prescription de telles actions : le Conseil d’Etat a alors déterminé qu’il s’agissait de la date à laquelle la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l’étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés.

En l’espèce, le cas était très particulier puisque certains organes de la Région avaient connaissance de telles pratiques mais pas les organes qui leur ont succédés. Dès lors, il était difficile de déterminer le point de départ du délai de prescription pour de telles actions.

Aux termes d’un long arrêt, le Conseil d’Etat estime qu’ « Il résulte de l’article 2224 du code civil, du II de l’article 26 de loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, de l’article 2270-1 du code civil, en vigueur jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, des articles L. 481-1 et L. 482-1 du code de commerce et de l’article 12 de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage. Après l’entrée en vigueur de cette loi, la prescription de ces conclusions est régie par l’article 2224 du code civil fixant une prescription de cinq ans. S’applique, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 9 mars 2017 relatives aux actions en dommage et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, l’article L. 482-1 du code de commerce. »

Le Conseil d’Etat se base donc à la fois sur les dispositions du Code civil et du Code de commerce pour déterminer les modalités d’action en responsabilité pour pratiques anticoncurrentielles dans la cadre de marchés publics.

Aussi, de manière relativement logique compte tenu de la jurisprudence en la matière, les juges du Palais Royal ont précisé que « Pour l’application de l’ensemble de ces dispositions, le délai de prescription qu’elles prévoient ne peut commencer à courir avant la date à laquelle la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l’étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés. Dans l’hypothèse où le préjudice de la personne publique résulte de pratiques auxquelles ses organes dirigeants ont participé, de sorte qu’en raison de leur implication elle n’a pu faire valoir ses droits à réparation, la prescription ne peut courir qu’à la date à laquelle, après le remplacement de ses organes dirigeants, les nouveaux organes dirigeants, étrangers à la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles, acquièrent une connaissance suffisamment certaine de l’étendue de ces pratiques. »*

Le Conseil d’Etat conclut ainsi qu’il n’existe pas de présomption de transmission de la connaissance de tels faits entre différents organes d’une même personne publique qui se succèdent.

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